vendredi 15 janvier 2010

Pourquoi le français est-il si facile à lire et si difficile à écrire ?

Près de vingt ans après la réforme de 1990, le journaliste François de Closets et le chercheur Jean-Pierre Jaffré viennent coup sur coup de publier chacun un ouvrage sur la question de l’orthographe. Depuis qu’elle a commencé à se fixer au 16ème siècle, quelle est sa place dans le monde d’aujourd’hui ?

Comment notre orthographe est-elle née ?

François de Closets : Le français est né à l’oral de la fusion de différentes langues, latin, germain, etc. L’écriture, c’était le latin : la langue de la religion, de l’État, du juridique. Il y avait une lettre pour chaque son. Le français s’est donc inspiré de l’alphabet latin. Mais, entre-temps, d’autres sons étaient apparus. Les scribes, qui étaient des latinistes, ont donc établi une nouvelle base phonétique. Et pour lui donner un peu de dignité, ils l’ont farcie de consonnes, le plus souvent muettes. Le français se doublait d’un fantôme qui l’alourdissait. Puis, avec l’apparition de l’imprimerie, de nouvelles exigences sont apparues. Il a fallu ponctuer.

Jean-Pierre Jaffré : C’est ce qu’on appelle la bataille de l’orthographe. En 1550, on a d’un côté les tenants de l’orthographe pour l’œil (le lexicographe et imprimeur Robert Estienne) et de l’autre celle des poètes (Du Bellay, Ronsard) qui cherchent à saisir la forme sonore du langage. L’Académie française a oscillé entre ces deux. Et depuis, on navigue à vue.

François de Closets : Avant les scribes, le français était une langue très germanisée, avec des petits mots. Les Germains éructaient. Les latins, au contraire, donnaient une ampleur au mot. Ça a nécessité une réécriture. Il y a eu une volonté de remettre des marques latines quand bien même elles ne correspondaient plus à l’oreille. C’était surchargé, mais finalement, quelle importance, puisque c’était l’écriture des scribes. On était dans l’entre-soi. Or, qui apprenait le latin ? Les filles. Donc, que se passe-t-il au 17e siècle ? Les femmes en ont marre de ce machisme orthographique. Et à l’hôtel de Rambouillet, elles réécrivent plus simplement les mots. Les hommes trouvent cela grotesque. Mais on a retrouvé ce dictionnaire des Précieuses. Et on s’aperçoit que leurs propositions graphiques sont très modernes.

Jean-Pierre Jaffré : On a l’exemple au Japon. Vers le 12e siècle, les femmes de la Cour, qui voulaient écrire de la poésie, ont revisité l’orthographe. Le japonais était né d’emprunts au chinois. Mais la grammaire et la conjugaison étant différentes, il avait fallu rajouter des syllabes au bout des caractères chinois. Ces femmes, avec leurs nouvelles représentations syllabiques, en ont fait une orthographe très aisée car très régulière. Il y a une tradition féminine dans l’écriture qui va dans le sens d’une représentation du son plutôt que du sens.

Crédit photo RMN, Estampe, Marie-Thérèse de Savoie-Carignan, princesse de Lamballe écrivant, Château de Versailles et Trianon


Si on établissait un classement par ordre de difficulté, où se situerait le français ?
Jean-Pierre Jaffré : Pour moi, c’est l’orthographe la plus compliquée avec celle du japonais, mais le versant chinois du japonais.

François de Closets : La première difficulté est lexicale. Je vous donne un son. Pouvez-vous m’écrire le mot correspondant ? “So” : pour le même son, il y a plusieurs écritures différentes (seau, sceau, sot...). Il y a aussi la multiplication des consonnes muettes. Pourquoi un "z" au bout de nez ? Pourquoi vingt avec un "g" et trente sans ? Il y a aussi énormément d’accords redondants, des accords vissés sur tous les mots et le plus souvent muets. Les jolies fleurs sont roses, pourquoi marquer autant le pluriel ? Pourquoi aussi un festival / des festivals et un cheval / des chevaux ? La grammaire française est bourrée d’exceptions. C’est une langue au service du lecteur : elle se lit facilement mais s’écrit difficilement.

Jean-Pierre Jaffré : Les accords renvoient à l’ancien français. Comme en latin ou en allemand, les mots qui allaient ensemble n’étaient pas forcément mis les uns à côté des autres. Ce qu’on ne pouvait accorder par la position, on l’accordait par la graphie. Or à partir du Moyen Âge, l’ordre des mots s’est rigidifié. Ils ont progressivement été placés les uns à côté des autres. C’est ainsi que l’accord est devenu redondant. En anglais, par exemple, on n’accorde pas l’adjectif. Et en chinois, il n’y a pas d’article, on met les mots les uns à côté des autres. Pour la conjugaison des verbes, pourquoi Je prends avec un "d" et Je peins sans "d" alors qu’ils viennent tous les deux de verbes en "d" ? Il faut raisonner au coup par coup, faire des listes d’exception. Mais aujourd’hui, l’école n’a plus le temps de s’y consacrer. (Source et lecture de l'article complet Ici)

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